"Darc is bright" : Rétrospective en hommage à Daniel Darc

C'est difficile à croire, une mort soudaine, alors qu'il aura laissé sa vie de justesse des dizaines de fois, et pourtant Daniel Darc, "l'ange déchu", s'en est allé. Au lieu de faire un papier tire-larmes, j'ai décidé de faire une petite rétrospective en chansons de sa carrière, de sa vie, car il laisse une marque indélébile dans le paysage punk rock français.

Né en 1959 Daniel Rozoum à l'état civil, il parlait sans langue de bois de ses origines juives et de sa grand'mère morte en déportation. A 20 ans, ils sont 5 jeunes gars à fonder Taxi Girl, dont Mirwais (aujourd'hui producteur de Madonna) et le titre qui vont leur assurer le succès s'appelle "Chercher le garçon", qu'on ne présente plus et qui aura marqué les années 80 de sa teinte pop moderne...Outre ce titre, il y avait aussi PARIS, titre plus teinté rock assez provoc' et sur le fil...un titre qui ressemble plus aux influences de Daniel Darc : The Kinks, Elvis, Johnny Cash, The Velvet Underground, Kraftwerk, les Sex Pistols...le rock et le punk, deux influences majeures chez Daniel. Après avoir vendu 300 000 exemplaires de leur single "Chercher le garçon" en 1981, Taxi Girl se sépare en 1986, un unique album Seppuku (dont la légende raconte que le disque était vendu avec une lame tranchante dissimulée...) et la mort par overdose de Pierre Wolfssohn le batteur du groupe. Les addictions sont malheureusement déjà quotidiennes (et Daniel s'est déjà ouvert les veines sur scène en concert par provocation en 1980).

En 1987, Daniel Darc entame sa carrière solo avec un premier album produit par Jacno "Sous influence divine". Premier disque honorable, mais sans temps fort et encore un peu en recherche de style, on reconnaît néanmoins la patte poétique du chanteur et sa voix au timbre fragile, avec une reprise honnête de "Comment te dire adieu". L'année suivante sort un album en duo avec Bill Pritchard, qui se nomme "Parce que". Tiré à 3000 exemplaires et forme d'album rock conceptuel de deux amis, il y a Parce que, reprise d'Aznavour chantée par Pritchard et surtout Aimer à nouveau, chanson qui, à mon sens, va commencer à inscrire le style Darc, texte épuré et noir, voix fragile, harmonica (dont Daniel ne se séparait que rarement), sujets évoqués (les amours impossibles ou dévastateurs, les points de non-retours). Cependant en 1988 aussi, il y a la Ville, produit par Etienne Daho, et là, c'est la grosse claque musical, mi-chanté, mi-parlé, empreinte d'une musique très douce, l'écriture poétique et dans l'épure de Darc prend tout son sens. Ce single ne sera malheureusement pas suivi d'un album. Daniel lutte contre ses démons, l'alcool, le crack et l'héro surtout, fera plusieurs overdoses, de la prison...Pendant plusieurs années, plus rien, et puis...

...Nijinsky en 1994, en hommage au célèbre danseur russe, pour lequel Daniel avait beaucoup d'admiration. L'album est résolument rock avec un soupçon de punk et publiée chez Bond Age, assurément, mais use aussi avec bonheur des cordes et on y trouve encore des titres sublimes dont quelques uns entièrement écrits et composés par Daniel comme le très fort Il y a des moments ou les deux versions du titre éponyme Nijinsky. Le feu Follet est également une merveille de poésie pour les oreilles, :" J'aurais voulu être vous, ce doit être assez doux, j'aurais bien aimé rester mais aux regrets,je semble voué, Pas à vous, m'en voulez vous?" Album culte, collector, et très recherché des passionnés aujourd'hui, ce sera un échec commercial à l'époque...mais il regorge de références au cinéma, à la musique, à la danse. Références qui inspireront également les prochains disques....

...Et puis 10 ans passent sans que l'on entende plus parler de Daniel Darc. Ses addictions sont toujours trop présentes, difficiles de s'en défaire. On raconte même qu'il a été plusieurs fois hospitalisé. C'est Frédéric Lo, musicien producteur et ami avec qui Daniel Darc composera ses deux prochains disques, qui le dit. "Quand on a fait Crèvecoeur, Daniel aurait pu mourir trois fois". Le bonhomme est fragile de santé, sur le fil du rasoir comme il l'a toujours été et en 2004, quand paraît Crèvecoeur, on le ressent plus que jamais dans les thématiques (les amours perdus, la mort, la réflexion sur sa propre vie, l'auto-dérision) mais aussi dans ce qui lui permettra de revenir à la vie, lui qui a tant frôlé la mort (la foi, sujet devenu récurrent sur les trois derniers disques). Sa voix semble renaître et le timbre sera l'écho de cette fragilité, mais aussi son charme. Je crois que c'est le disque que j'ai le plus écouté dans ma vie, à titre personnel, parce qu'il parle au coeur et à l'âme en toute simplicité. Disque épuré, regorgeant de magnifiques arpèges, Darc y démontre tout son talent d'une écriture très personnelle, improvisée et de la richesse de sa culture artistique...On croisera The Kinks, le Psaume 23 à Jérémie et même Bela Bartok. Dans Elegie 2 : "Moi pauvre qui n'est rien que rêves, je les ai ouverts sous tes pas, Va doucement car sur mes rêves,Tu vas" et Je me souviens, je me rappelle "Je me souviens, je me rappelle, une croix trop lourde pour moi, un bois qui pèse et m'écartèle, et pourtant je l'aimais cette croix". Avec 60000 exemplaires vendus et une Victoire de la musique, l'auteur est enfin reconnu à la fois par la critique et le public, 20 ans après le début de sa carrière solo.

En 2008, Amours suprêmes est dans la continuité de Crèvecoeur mais s'avère plus rock, plus fouillé, peut-être un peu moins attachant et plus brutal que le précédent opus; Cependant, le disque est également une jolie réussite et on a plaisir à entendre le duo Darc/Bashung pour un titre L.U.V. (paradoxalement, le plus réussi musicalement mais le moins abouti textuellement) ou encore Darc/ Robert Wyatt pour les choeurs du magnifique morceau jazzy rock Ca ne sert à rien . J'irai au paradis , chanson résolument rock à l'écriture très "darc", sera le très réussi single de l'album. Les tournées et les concerts s'enchainent, les addictions s'amenuisent, Daniel est amoureux aussi.

En 2011, juste avant l'hiver, La Taille de mon ame sort dans les bacs. Ce disque ne sera plus co-écrit par Frédéric Lo mais avec Laurent Marimbert. C'est Christophe qui les a présentés l'un à l'autre au cours d'un dîner. Ce sera, sans le savoir, son dernier album, et celui-ci est touché par une grâce particulière (en témoigne la pochette du disque). C'est moi le printemps sera le premier single "Je suis né en mai, c'est moi le printemps, D'un ventre épais, j'ai foutu le camp. Né scarifié, né en partant, Né sacrifié, né en passant" . La Taille de mon Ame, titre éponyme, chanson qui parle du néant, du vide, sous des arrangements classiques au violoncelle, au violon et au piano est un grand moment, d'autant qu'il fait référence au film Les enfants du Paradis de Marcel Carné avec des inserts de dialogues. On croisera aussi dans ce disque comme références Elvis (le sublime My Babe Left me), Keith Richards et Richard Hell, Serge Gainsbourg assurément...et la foi (Sois sanctifié, ultime très belle chanson) ainsi que l'autodérision noire encore et toujours (C'était mieux avant, les Filles aiment les tatouages). Avant de partir brutalement Vers l'infini, Darc nous aura offert sa propre vision d'une masterpiece.

Je garderai de lui, l'image d'un homme extremement attachant, bon, touchant car très fragile et plein d'humour qu'il était lors de ses concerts. J'ai encore eu l'occasion de l'applaudir en avril 2012 à La Laiterie pour un concert assez exceptionnel. Revenu tant de fois de la mort, il laissera en France une empreinte forte et très personnelle dont certains en sont déjà les dignes héritiers (je pense à Lescop). Darc a rendu le rock français plus intelligent avec une pudeur et une poésie qui n'appartient qu'à lui. Darc is bright, forever !